La recherche de la flexibilité

Si le salaire reste important, dans un monde en crise nous assistons à un retournement de situation du marché de l’emploi. Là où des générations précédentes cherchaient avant tout la continuité et la sécurité dans un emploi à long terme, aujourd’hui les personnes cherchent prioritairement du sens et de la flexibilité. De cette recherche de la flexibilité à la réflexion sur la semaine de quatre jours, il n’y a qu’un pas … que les entreprises peinent à franchir malgré tout.

La question de la semaine de quatre jours n’est pas récente. Antoine Riboud, patron de Danone, évoquait dans une interview en 1993 la nécessité de descendre à 32h par semaine pour créer de l’emploi. En 1996, la Loi Robiens proposait un passage à 32h avec allègement des cotisations patronales de sécurité sociale en échange d’une obligation de recruter au moins 10% de salariés en CDI. Puis est arrivée la loi Aubry et le passage aux 35h.

Des collaborateurs cadres friands de flexibilité

Selon un sondage récent de Manpower, plus d’un salarié sur trois serait prêt à diminuer son salaire de 5% en échange d’une semaine de 4 jours. Certes, tous les salariés ne peuvent pas imaginer diminuer ainsi leur rémunération, surtout dans un contexte inflationniste tel que nous le connaissons.

Mais le sondage révèle, au-delà des possibilités financières individuelles, une réelle remise en question du modèle économique et une recherche d’équilibre et de temps de repos dans un monde où tout va vite.

Or la semaine de quatre jours peut s’entendre également comme une nouvelle répartition du temps de travail, avec un allongement des journées pour atteindre 35h sur quatre jours au lieu de cinq. De nombreux cadres y sont favorables.

Plusieurs pays européens expérimentent des formes de semaines de quatre jours

A l’automne 2022 le Parlement belge a voté une réforme du marché du travail incluant la possibilité d’effectuer un temps plein sur quatre jours, sachant que le temps de travail oscille entre 38 et 40h par semaine en Belgique. L’essai se déroule sur six mois renouvelable.

L’Espagne de son côté lance un test de trois ans de passage à 32h pour deux cent PME volontaires, sans baisse de salaire pour les collaborateurs. Le différentiel de salaire est compensé par l’Etat qui souhaite,  avec ce projet pilote de trois ans comparer la rentabilité de ces entreprises volontaires avec celles équivalentes ayant conservé une semaine à 40h sur cinq jours.

En Angleterre le test de la semaine de quatre jours a été lancé en juin 2022 pour 70 entreprises. Les sondages réalisés quelques mois plus tard ont démontré un bon fonctionnement du système et un fort taux de satisfaction des collaborateurs qui souhaitent majoritairement (86%) continuer comme cela. La productivité s’est maintenue pour la moitié des entreprises test, un tiers estimant même qu’elle s’était légèrement améliorée et 15% qu’elle s’était sensiblement améliorée.

Et en France ?

Quelques entreprises françaises tentent également la semaine de quatre jours : elles font figurent d’exception dans le paysage économique. Parmi elles Yprema, l’une des pionnières avec la mise en place dès 1999 et plus récemment LDLC, Welcome to the Jungle ou encore Elmy. Chez ce dernier, l’expérimentation en cours pourra donner lieu à la signature d’un accord d’entreprise en avril prochain si la période de test est concluante.

Les premiers retours sont globalement positifs mais les directions des ressources humaines des entreprises concernées alertent sur la charge mentale associée à la semaine de quatre jours lorsque le temps de travail n’est pas réduit en conséquence : journées plus longues et impression de courir après le temps.

Certaines mettent même en place des formations à la gestion du temps et à la priorisation des missions pour accompagner les entreprises dans cette évolution de leur organisation. Des règles d’application des quatre jours sont également instaurées comme par exemple un roulement par binôme pour les gérer les demandes clients. C’est dire à quel point passer de cinq à quatre jours n’est pas anodin et suppose un accompagnement par les équipes ressources humaines.

Le sondage récent de Manpower montre néanmoins que la question est sur la table et dans les têtes….

La flexibilité de l’organisation du travail, un atout pour recruter ?

Comme la flexibilité de lieu de travail avec la généralisation du télétravail pour les métiers qui le permettent, la flexibilité dans l’organisation du temps de travail peut-elle devenir un atout pour recruter et fidéliser les talents ?

Sans aucun doute.

Entre des entreprises qui peinent à recruter et des collaborateurs qui, surtout parmi la génération Z, n’hésitent plus à changer de poste si les conditions de travail ne leur conviennent plus, l’équilibre vie privée vie professionnelle est devenu un enjeu de marque employeur. Plus que jamais, la question du sens des missions, les conditions de travail et la culture d’entreprise sont essentiels pour recruter et fidéliser les talents.

Lors d’un entretien de recrutement, la question de l’existence de télétravail et le temps de travail ou nombre de RTT figurent parmi les premières interrogations des candidats dont le métier permet le télétravail. Si les expériences de semaines de quatre jours se multiplient, nous pouvons nous attendre à un effet boule de neige et à ce que la question du nombre de jours travaillés dans la semaine deviennent un enjeu pour les candidats !

Un indispensable accompagnement des équipes RH

Période test, audit des envies et besoins des collaborateurs, réflexion sur l’organisation des équipes, les roulements entre binômes, impact sur le mode de management, conséquences sur la charge de travail et la charge mentale, autant de sujets que les directions des ressources humaines devront accompagner en partenariat avec les instances représentatives du personnel.

Il sera également nécessaire de renforcer les garde-fous tels que le droit à la déconnexion, officialisé dans le Code du travail en 2016, dans le cadre de négociations obligatoires sur la qualité de vie au travail (QVT).

En effet, les entreprises sont tenues de fixer un cadre pour aménager des périodes de repos et de congés et des plages horaires pendant lesquelles les collaborateurs ne sont ni joignables ni connectés à tous ces outils numériques professionnels susceptibles d’envahir la sphère privée : téléphone, tablette, ordinateur, messageries instantanées, etc.

Des temps « professionnels » sont définis afin de garantir un équilibre avec la vie privée des collaborateurs… un prérequis absolu si tous les collaborateurs de la même équipe ne travaillent pas tous les mêmes jours de la semaine.

Toute une organisation RH et managériale à repenser ?

Alors ? Retourner vers la possibilité de travailler 32h ? Ou aller plutôt vers une plus grande flexibilité de l’organisation des 35h sur quatre jours plutôt que cinq ? Economistes, chefs d’entreprise et collaborateurs ont encore de beaux débats devant eux sur ce sujet qui ne fait pas l’unanimité !